12 juillet 2010 - Source IGaming France |
« Le métier des jeux d’argent en France est très transparent et extrêmement contrôlé » |
La protection des joueurs à risque de dépendance ou de surendettement est un sujet qui a prit encore plus d’importance depuis l’ouverture du marché francais des jeux en ligne. Eric Bouhanna, qui a fondé ADICTEL en 2003, est revenu sur les origines de sa société, comment elle a défini ses objectifs et le regard qu’il porte sur un secteur qui a considérablement changé entre-temps. iGaming France : On ne présente plus ADICTEL (addiction – prévention), vous en avez fait le service d’aide de référence sur internet, dans les casinos et cercles de jeux d’argent. Une de vos originalités c’est d’avoir fait passer la thérapie après la limitation. Accepteriez-vous d’aborder le sujet avec nous mais cette fois-ci sous un angle différent et en toute transparence ? Eric Bouhanna : Contrairement à ce pense que le grand public, le métier des jeux d’argent en France est très transparent et extrêmement contrôlé, dés lors il me semble naturel de tout vous dire, ce qui n’est pas gênant puisque c’est en fait un « petit » monde où tout se sait. IGF : Comment avez-vous fait pour vous faire accepter par les acteurs du métier des jeux d’argent en tant qu’organisme de lutte contre l‘addiction quant on connait leurs enjeux économiques et leur culture ? C’est une prouesse, a-t-on envie de dire. EB : Votre question est très juste. Le risque financier est d’abord du côté des joueurs, mais effectivement il est clair qu’on ne rentre pas dans l’univers des jeux d’argent à fortiori pour aider les joueurs en difficulté sans avoir gagné la confiance des opérateurs de jeux et des autorités. D’abord il faut du temps, de la patience et être « costaud ». C’est aussi un métier dans lequel il faut tout d’abord être accepté en restant honnête et loyal sans quoi la porte de sortie n’est pas loin. Puis il faut obtenir la confiance des joueurs, le respect des acteurs du marché et ce n’est jamais gagné d’avance car il existe de grandes rivalités et des batailles dans lesquelles certains se sont servis du prétexte de l’addiction à des fins concurrentielles. Pour la « prouesse » je plaide coupable, cela n’a pas été simple. ADICTEL a apporté ses services pendant prés de 8 ans aux joueurs en difficulté et aux opérateurs « éthiques » de jeux internet dans un contexte où tous étaient considérés comme illégaux. Pendant cette période nous faisions signer des contrats d’engagement d’aide à des compagnies sujettes à la répression des autorités. Les monopoles de l’époque se servaient de cette situation pour tenter de contrôler le « domaine de l’aide aux joueurs » et cela reste d’ailleurs vrai encore aujourd’hui. Quant aux masses représentées : ADICTEL était comme une barque traversant la trajectoire d’un porte-avion. Nous avons tenu bon, c’est peut être ce qui nous a valu l’amitié de beaucoup et le respect des autres. IGF : La manne financière est très convoitée, on voit même arriver certains fournisseurs de services qui voient dans l’addiction une opportunité économique comme une autre, qu’en pensez-vous ? EB : Effectivement nous voyons de drôles de choses se passer, mais comme le disait récemment un homme politique sur ce sujet, « il faut veiller à ce qu’il n’y ait pas de « chacals » qui rentrent dans ce métier ». Les opérateurs sérieux ne souscriront pas à ce genre d’offre. Les acteurs sont historiques et déjà identifiés. Pour ma part j’ai doté mon organisation d’un environnement légal et de bons partenaires pour faire face à ces parasites qui malheureusement existent. ADICTEL c’est une sorte de boite à outils d’aide en temps réel. Nous utilisons donc des moyens, des services et des technologies que nous protégeons. Maintenant si ce sont des associations où des psychologues qui se spécialisent dans la lutte contre l’addiction aux jeux c’est excellent, je dirais même « il était temps », car il en existe trop peu, peut-être une dizaine en France. Suite à l’initiative de l’ARJEL, je trouve positif qu’il y ait un numéro d’appel national pour conseiller les familles de joueurs. Je profite de cette interview pour dire aux psychologues et professionnels de l’addiction qui désirent se familiariser avec la dépendance aux jeux d’argent de se rapprocher de nous, nous les aiderons. IGF : Quelles sont les références et aides institutionnelles d’ADICTEL ? EB : Pendant nos premières années d’activité, c’était une faiblesse que nous avons corrigé ce qui rassure nos adhérents et usagers. Il est vrai qu’au tout début ADICTEL avait pris le parti de ne pas compter sur les institutions parce que nous avions compris très tôt que pour aider et sauver des gens en nombre, nous n’étions pas capables de consacrer du temps et de l’énergie au « relationnel politique » et ne voulions pas être dépendants de subventions qui, si elles stoppaient nous feraient mettre la clef sous la porte au détriment de près de 9000 familles aidées chaque année. Ce choix a été risqué mais judicieux. Aujourd’hui c’est différent, nous avons une organisation solide et indépendante financièrement. Nous pouvons enfin corriger nos lacunes, ainsi ces deux dernières années ADICTEL a contribué activement : - Aux ateliers de l’ARJEL pour la préparation de la loi et des futurs dispositifs de protection des joueurs excessifs, aux réunions du GESTE, dont nous sommes membres et nous avons conseillé KEYNECTIS depuis 2006, - ADICTEL intervient dans les différents colloques nationaux sur les jeux au sénat ou à l’assemblée nationale, mais aussi dans les principaux congrès du jeu à Malte, Londres et Madrid, - Au niveau international, ADICTEL est reconnu par ECOGRA au même titre que G4 ou Gamcare. Parlons enfin des références dont nous sommes assez fiers, ce sont ces deux chiffres : 95% des opérateurs ont choisi le service ADICTEL. Nous traitons 9000 dossiers d’aide en France par an. IGF : Toutes les associations d’aide aux joueurs connues sont financées par les gros opérateurs de jeux, n’y a-t-il pas un conflit d’intérêt ? EB : Vous m’avez demandé de parler vrai : c’est une question émanent du reflexe « Jacobin » bien Français mais qui ne fait que nuire à la vraie compréhension du sujet. Car dans l’imaginaire de beaucoup, les initiatives viennent de l’état, l’argent vient de l’état ; alors que c’est totalement faux. Les associations ont du mal à assumer cela puisque justement d’un côté elles baignent dans cette culture et d’un autre elles encaissent les fonds. Ne tournons pas autour du pot, pour sauver des gens il faut de l’énergie, des moyens, des savoirs faires et de l’argent. Ces ressources sont présentent essentiellement dans les entreprises, et pour le coup chez les opérateurs de jeux. Pour la question de l’efficacité, permettez une comparaison : faut-il faire confiance aux « instances »pour gagner au foot ? On a vu le résultat. IGF : Et vous ? Comment trouvez-vous l’argent pour un dispositif d’une telle envergure ? EB : Envergure est bien le mot. Comme nous l’indiquions dans un article précédent ici-même, nous apportons à l’ouverture du marché Français l’automatisation de beaucoup de no procédures et nous déployons le service CRM au niveau mondial. C’est un énorme chantier qui comme tout chantier a pris un peu de retard mais qui est enfin prêt et qui sera disponible fin juillet après les tests en grandeur réelle. ADICTEL n’est financé par personne et c’est gratuit pour les joueurs en difficulté. Nous estimons que le modèle est sain et préférons considérer que nous avons des clients adhérents auxquels nous facturons un service de jeu responsable 24 heures sur 24 sur la base d’un contrat précis. Notre indépendance est garantie par le nombre d’adhérents au label. Les associations, elles, sont tenues par trois ou quatre opérateurs de jeux. Elles ne peuvent ainsi garantir ni pérennité ni indépendance, ADICTEL a près de 300 adhérents. Nous pouvons retirer notre label quand le contrat et la charte ne sont pas respectés et ce sans nous préoccuper des conséquences financières. IGF : Vous-même êtes aussi chef d’entreprise, comment conjuguez-vous l’aide aux joueurs dépendant avec vos méthodes d’entrepreneur ? EB : C’est lié à l’histoire d’ADICTEL. J’ai toujours été plus à l’aise en opérant comme un manager, c’est ma culture. Au début, avant 2003, j’avais entre autres une société de conseil et de CRM. C’est en voulant améliorer la notion de qualité dans les casinos que je me suis aperçu que certains clients restaient sur le carreau victime de dépendance aux jeux d’argent, avec des conséquences dramatiques pour eux et leur famille. Je me suis dit que pour qu’il y ait qualité il fallait résoudre avant tout le problème santé. J’ai adapté l’outil « Qualité » et je l’ai transformé. Sans trop être conscient de la portée de mon action, j’ai ainsi créé ADICTEL et avec des années de travail c’est devenu une « machine » à aider et à sauver. J’en suis assez fier et c’est mon métier central. C’est justement parce qu’on me prête un certain talent que je trouve l’argent et que le dispositif fonctionne. IGF : Comment évaluez-vous votre action ? EB : ADICTEL a contribué à professionnaliser et moderniser le métier de la prévention et de l’aide aux joueurs excessifs. J’ai également contribué à sensibiliser les opérateurs de jeux aux problèmes de l’addiction. Aujourd’hui c’est évident, mais croyez-moi il y a 8 ans c’était un sujet à éviter. Les choses changent en bien.
http://www.igamingfrance.com/publi-reportage-eric-bouhanna-95-des-operateurs-ont-choisi-adictel
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